Auteur de l’article : Alain Guillemoles – Source : la-croix.com/Economie/Economie-et-entreprises
Conçu comme un assistant pour les salariés, le programme d’IBM Watson va bouleverser la façon de travailler dans les grandes entreprises.
L’intelligence artificielle ? Non, elle ne se conjugue pas seulement au futur. De manière presque silencieuse, ces programmes informatiques sont déjà largement sortis des laboratoires de recherche pour s’implanter dans un nombre croissant d’entreprises, aux côtés de milliers de salariés de chair et d’os.
La nouvelle banque du groupe Orange, par exemple, lancée le 2 novembre : lorsque les particuliers appellent le service client, ils se retrouvent, pour certaines opérations, en conversation avec Watson, un robot développé par le géant informatique IBM.
De même, c’est déjà Watson qui répond, chez Bouygues Telecom, aux clients ayant des problèmes pour brancher leur box Internet. Le service a d’abord été introduit pour quelques abonnés, mais il devrait petit à petit être généralisé. Car en quelques mois, Watson s’est montré capable de répondre à 93 % des questions qui lui étaient posées, indique Sylvain Goussot, responsable de l’innovation chez Bouygues. « C’est la preuve que l’apprentissage fonctionne », constate-t-il.
Un outil pour se concentrer sur les tâches les plus importantes
Au Crédit mutuel, le pas a déjà été franchi. Après une période de test, Watson assiste depuis avril l’ensemble des 20 000 chargés de clientèle du groupe. L’intelligence artificielle d’IBM fait l’analyse des 350 000 courriels de clients reçus chaque jour par la banque. Watson les classe en fonction de l’urgence, voire prépare une réponse type que les chargés de clientèle peuvent ensuite personnaliser.
De plus, sa tête chercheuse fournit des réponses développées sur des produits d’épargne ou d’assurance, dans les cas les plus complexes. Mais l’opération n’a pas conduit à supprimer des emplois, selon la direction du Crédit mutuel : elle donne un outil aux salariés pour leur permettre de se concentrer sur les tâches les plus importantes.
Une intelligence artificielle dans de nombreux domaines
Orange, Bouygues, Crédit mutuel… L’intelligence artificielle s’installe donc dans les grandes entreprises. Et elle transforme la façon de travailler. Aux États-Unis, Watson a d’abord été utilisé dans le secteur de la santé, pour aider les médecins à prescrire le bon traitement contre le cancer. Il est aujourd’hui testé par des cabinets d’avocats pour les accompagner dans la préparation de leurs stratégies de défense.
En France, ce sont plutôt les banques, les assurances et les opérateurs téléphoniques qui s’y sont intéressés les premiers. Mais nul doute que d’autres secteurs devraient y venir. Pour s’en convaincre, il suffisait d’assister au Watson Summit, organisé par IBM le 10 octobre, au Carrousel du Louvre. Ce jour-là, plus de 3 000 cadres dirigeants des plus grands groupes français ont pu constater que cette technologie est arrivée à maturité et qu’elle est prête à être déployée dans le monde du travail.
La « capacité d’apprentissage » de Watson
Pour IBM, l’aventure a commencé il y a plus de vingt ans, lorsque, le 11 mai 1997, son ordinateur Deep Blue a battu aux échecs le champion du monde Garry Kasparov. Depuis, la société américaine, créée en 1911, a conçu un ensemble de programmes dotés de capacités « intelligentes », nommé Watson.
Derrière ce nom se cache un saut technologique. Ce que fait Watson, tout comme ses homologues développés par des entreprises concurrentes, c’est qu’il va chercher des informations dans de grandes bases de données et peut les combiner. Et il améliore son fonctionnement au fil du temps, ce qui lui donne une « capacité d’apprentissage ».
Des intelligences artificielles très spécialisées
« Les moteurs de recherche classiques apportent de l’information. Watson amène de la connaissance : il est capable de répondre à une question formulée en langage naturel par une synthèse, en donnant en même temps les principaux documents qui lui ont permis d’y arriver », explique Nicolas Sekkaki, le président d’IBM France.
Watson est donc conçu pour assister l’homme, selon IBM. Il accroît les possibilités d’un salarié, pour en faire une sorte de « salarié augmenté ». C’est pourquoi ses réponses sont accompagnées d’un « pourcentage de certitude ». Mais la décision reste entre les mains de l’humain et Watson est encore loin de pouvoir remplacer l’homme. « Les intelligences que nous développons sont spécialisées sur un sujet précis en fonction de l’apprentissage qu’elles ont reçu », rappelle Nicolas Sekkaki.
La fin du travail humain ?
Malgré tout, on devine que de nombreuses tâches pourront, demain, être automatisées. « L’homme n’a pas attendu l’intelligence artificielle pour automatiser tout ce qui peut l’être », souligne Nicolas Sekkaki. Mais selon lui, cela ne va pas mettre fin au travail humain, au contraire : « Si une entreprise, grâce à Watson, arrive à mieux satisfaire ses clients, naturellement elle va créer de l’activité, et donc de l’emploi. »
De fait, à partir du moment où ces technologies existent, il devient difficile pour les entreprises de ne pas les utiliser. D’autant que les grands groupes craignent toujours de voir arriver une petite start-up qui, en s’appuyant sur un nouveau logiciel, pourrait redéfinir les règles du jeu et les pousser dehors…
Petites pousses et grandes entreprises
C’est pourquoi IBM incite les grands groupes à coopérer avec les start-up. À Bois-Colombes (Hauts-de-Seine), siège d’IBM France, le groupe informatique a créé un espace dédié aux jeunes pousses innovantes. Pendant une période de six mois, elles peuvent y développer leur produit et bénéficier du formidable carnet d’adresses d’IBM pour nouer des collaborations avec les grandes entreprises.
Petit à petit, Watson intègre ainsi les stratégies des grands groupes, en prenant en charge, pour l’instant, de petites tâches très spécialisées. Mais on sent bien que, pas après pas, cette révolution technologique va gagner toutes les fonctions de l’entreprise. Et que les salariés devront monter en compétences, s’ils veulent conserver leur place.